Ce dessin représente deux grands-parents accompagnés de leurs petites-filles à qui ils expliquent le Mémorial de la Déportation qui se trouve sur la grand-place du Ghetto de Venise. Ce mémorial, qui est suggéré plus que décrit en arrière-plan, est composé de plusieurs plaques de bronze sculptées en bas-relief évoquant quelques épisodes caractéristiques non seulement du génocide (la Shoah) mais aussi de l’entreprise de déshumanisation qui l’a accompagné. Par ce dessin, je souhaite montrer que tout n’est pas qu’ordre et beauté à Venise et que son histoire est complexe et souvent douloureuse, notamment dans ses rapports avec les juifs.
Cette politique de déshumanisation, connue sous le nom de code de « Nacht und Nebel » (en français « Nuit et brouillard), ne concernait pas seulement les juifs mais tous ceux que les nazis considéraient comme des sous-hommes et tous ceux qui s’opposaient à leur barbarie.
L’un des principaux témoignages de ce qu’ont été les camps de concentration, où cette entreprise de déshumanisation a été mise en œuvre, est le livre de Primo Levi intitulé « Se questo è un uomo » (en français « Si c’est un homme »). Résistant antifasciste, Primo Levi a été déporté à Auschwitz en tant que juif, et il révèle l’horreur absolue de ce qui se passait là-bas. Le titre de son livre vient d’un poème qu’il a écrit et placé en exergue (sa traduction est ci-dessous). Comme le mémorial, ce poème proclame la nécessité de garder la mémoire de cette page de l’histoire de l’Humanité (peut-être la plus sombre) et de la transmettre aux générations futures.
Je dédie ce dessin à toutes les victimes des crimes contre l’Humanité, en tout temps et en tous lieux.
Si c’est un homme
Vous qui vivez en toute quiétude
Bien au chaud dans vos maisons,
Vous qui trouvez le soir en rentrant
La table mise et des visages amis,
Considérez si c’est un homme
Que celui qui peine dans la boue,
Qui ne connaît pas de repos,
Qui se bat pour un quignon de pain,
Qui meurt pour un oui pour un non.
Considérez si c’est une femme
Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux
Et jusqu’à la force de se souvenir,
Les yeux vides et le sein froid
Comme une grenouille en hiver.
N’oubliez pas que cela fut,
Non, ne l’oubliez pas :
Gravez ces mots dans votre cœur.
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant,
Répétez-les à vos enfants.
Ou que votre maison s’écroule,
Que la maladie vous accable,
Que vos enfants se détournent de vous.
