Figuration et liberté

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Du motif à l’œuvre

Je ne sais pas produire une image à partir de rien. Mes œuvres sont le fruit de mes expériences, de ce que j’ai vu, pensé et ressenti. Je suis pleinement conscient que, même si je le souhaitais, je ne pourrais pas en faire une description objective, mais ce n’est pas une raison pour tenter de cacher quel était le point de départ de mon travail. Je ne cherche pas à décrire mais à évoquer. La figuration m’est nécessaire, mais l’imitation ne me convient pas (qu’il s’agisse de l’imitation de la nature ou d’un maître) : j’ai besoin de me sentir libre. Libre de déformer, d’accentuer, de gommer… libre d’être moi-même.

J’ai déjà abordé cette question sur la page d’accueil de ce site, mais il me semble intéressant de le développer en voyant comment certains motifs récurrents ont pu me faire évoluer, tantôt vers moins, tantôt vers plus de figuration, mais toujours vers davantage de liberté.

Rolleboise

En achetant notre maison, à flanc de coteau avec une vue imprenable sur la Seine et la campagne, je me félicitais de pouvoir profiter d’un véritable atelier, vaste, bien éclairé et orienté à l’est, mais je n’imaginais pas l’importance que cette vue allait avoir dans mon évolution.

Le paysage vu depuis l’atelier

Au premier plan, la Seine qui coule de droite à gauche où elle est barrée par un ouvrage de régulation du niveau du fleuve (le barrage de Méricourt). Au-delà du fleuve, l’autre rive, boisée en grande partie (avec un bouquet de saules orange en hiver, vert pâle en été) ; au centre une sablière en exploitation quand nous sommes arrivés, aujourd’hui en partie remplacée par un étang et pour le reste par des champs. Vers l’amont, une île délimitée par le fleuve et un de ses petits bras (la Petite Seine) qui se rejoignent en face de l’atelier. A l’arrière-plan, les collines du Vexin délimitent l’horizon (elles sont un peu plus hautes que mon atelier, on ne voit pas au-delà). Ce panorama changeant, d’année en année, mais aussi en fonction des saisons, des heures et de la météo, a été mon principal sujet d’inspiration pendant une trentaine d’années.

Rôle de la mémoire

J’ai longtemps cru qu’il est possible de peindre un paysage sur le motif, en saisissant le moindre effet de lumière, mais j’ai vite compris que, même sur des tout petits formats, comme les quatre exemples ci-dessous, on ne peut pas aller assez vite pour étaler la couleur. Ainsi, seule l’étude de nuages a été faite vraiment d’après ce que je voyais en la peignant, tandis que les autres ont été peints d’après ce que j’avais vu, la mémoire prenant le relais avec son lot de déformations assumées. Non seulement j’en suis conscient, mais j’en joue, en permanence.

La place de l’horizon

L’atelier est à flanc de coteau, aussi il faut baisser les yeux pour regarder la plus grande partie du paysage ; alors l’horizon (les coteaux du Vexin au-delà de la vallée) monte vers le haut du tableau et la part du ciel diminue en conséquence.

Très vite, le ciel disparaît complètement et en même temps, le cadrage se resserre sur une toute petite partie du paysage… vue de loin puisqu’elle se trouve de l’autre côté de la Seine (plus de 200 mètres de large en face de l’atelier, beaucoup plus pour mes motifs favoris) : dès lors tous les détails deviennent négligeables et seul le plus important reste pour susciter le tableau, laissant toute liberté d’interprétation. Les formes s’estompent et la couleur devient le vrai motif.

Exemples à la gouache

Au bout de la démarche, toute forme solide va disparaître et il ne restera que des jeux de couleurs inspirés par les reflets, les effets du vent sur l’eau ou dans les champs… Cette pratique s’étend à d’autres paysages que la vue de l’atelier.

Huile sur toile

Petits formats à l’huile sur carton

Aquarelles

Rustrel et Cassis

En 2001, lors d’un court séjour dans le Luberon, j’ai découvert les anciennes carrières d’ocres de Rustrel et ce fut une révélation. Je n’avais pas assez de temps pour peindre sur place, mais j’ai pris quelques photos et, de retour dans l’atelier j’ai entrepris les tableaux en utilisant les photos non pas pour les copier mais pour me remettre dans l’ambiance et raviver ma mémoire. Si la technique est encore faite de couches très fluides superposées, la minéralité du paysage m’a entraîné à appuyer sur quelques formes pour suggérer un bout de paysage sans que le dessin prenne le pas sur la couleur (voir aussi « Symphonie Rustrel » sur la page d’accueil).

J’ai la chance de pouvoir faire régulièrement des séjours d’une semaine à Cassis, de travailler en présence du motif et de m’imprégner du paysage pour pouvoir continuer de mémoire à l’atelier. C’est un petit port méditerranéen encadré par les falaises blanches des calanques à l’ouest et la masse imposante du Cap Canaille à l’est. Ce cap est une falaise dont la couleur change tout le jour : bleuâtre (à contre-jour) le matin, il se dore au soleil de midi et rougeoie au couchant pour peu que les nuages s’y prêtent. Le spectacle est superbe et toujours renouvelé : un motif parfait qui m’a permis de progresser dans la figuration d’un paysage minéral et dans l’alliance du trait et de la couleur (même pour une gravure monochrome !).

Les deux gravures et la peinture à l’huile inspirées par les calanques ont été réalisées à l’atelier, le reste en présence du motif.

Giverny

Rolleboise n’est qu’à quelques kilomètres des jardins de Claude Monet à Giverny. Je ne compte plus les fois où je m’y suis promené, du printemps à l’automne (ils sont malheureusement fermés en hiver) et je m’en suis délecté. Monet les a conçus comme une sorte de motif idéal ; comme je me pose, moi aussi, des questions sur les rapports entre formes, lignes et couleurs, présence et dilution du motif, la tentation était trop grande : je n’ai pas résisté à l’envie de me servir de ce que j’y ai vu.

Bien entendu, il n’est pas question d’imiter Monet (pas plus que la nature) mais de chercher mes propres réponses, sinon avec génie, au moins avec sincérité. Le travail, en atelier uniquement (même pour des études à l’aquarelle), sur le jardin d’eau comme sur le jardin de fleurs, m’a beaucoup apporté. Et, petite pointe d’originalité, je l’ai fait en couleurs bien sûr, mais aussi en noir et blanc (encre de Chine, fusain et gravure – voir aussi le paragraphe ci-dessous sur les séries). Et j’y reviendrai si je peux encore travailler quelques années.

L’ouest américain

La découverte des parcs nationaux de l’ouest des Etats-Unis (Utah, Arizona, Nevada et Californie) a été une révélation et j’ai commencé à travailler sur ces paysages dès mon retour. Si le choc des couleurs peut s’apparenter à ce que j’ai vu à Rustrel, l’immensité des panoramas ne pouvait se peindre avec la même technique : il fallait marquer le dessin du paysage tout en gardant la primauté de la couleur – même pour des cadrages très serrés. C’est un motif toujours renouvelé et sur lequel je travaille encore dix ans après, essentiellement à l’huile avec un médium pâteux et de petits pinceaux, mais aussi avec toutes les autres techniques que je pratique.

L’Asie

Les voyages en Asie (Vietnam, Thaïlande, Laos, Cambodge, et Inde) m’ont fait évoluer sur deux plans : la représentation des monuments, puis des villes (surtout, plus tard, en Europe et aux Etats-Unis), et la place de la représentation humaine dans mon travail. Dans un cas comme dans l’autre, il ne s’agit pas d’évolution technique, mais d’un nouveau regard sur le motif de l’image et l’importance apportée à un respect minimum des proportions pour qu’il soit identifiable (condition pour que la mémoire puisse intervenir) sans remettre en cause la primauté de la couleur.

Le recours à la photo pour le travail en atelier permet une mise en place correcte avant que la mémoire joue seule pour la suite du tableau. Les photos permettent aussi de retrouver dans l’atelier une ambiance colorée propice à mon travail : c’est cette ambiance qui m’importe, pas la restitution des détails.

De même, la figure humaine représentée n’est pas un portrait (j’en ai fait très peu, essentiellement des autoportraits) mais une sorte d’archétype.

Les ensembles : polyptiques et séries

En 1998, lors du vernissage de ma première exposition personnelle, mon amie Marie-Rose Faure, professeure de philosophie, très concernée par l’esthétique, présenta l’exposition en mettant l’accent sur la complémentarité des tableaux exposés, proposant de ne pas les regarder seulement comme des éléments distincts, mais comme parties d’un ensemble cohérent.

Cette notion de parties interagissant et s’enrichissant mutuellement, m’était déjà très familière, mais je n’avais pas pensé à l’appliquer consciemment à ma peinture, et pourtant c’était déjà là. Cette présentation, émouvante et troublante, m’a incité à continuer dans la même voie, mais de façon préméditée dorénavant.

Cela se traduit dans la conception globale de mes expositions personnelles (mais ce n’est pas possible de le décrire, ni de le montrer par des photographies d’ambiance) et par des ensembles de tableaux directement complémentaires : chacun a une existence propre mais aussi une complémentarité enrichissante avec les autres : ce sont les polyptiques et les séries.

Polyptiques

Leurs éléments sont, à mes yeux, indissociables et si possible réunis dans un même cadre. C’est un gros travail de conception et je n’en ai fait que quelques uns ; les plus importants ne sont plus en ma possession.

Séries

Il ne s’agit pas de séries au sens de Claude Monet, représentant un même motif sous différentes lumières, mais de tableaux qui ont en commun des motifs proches les uns des autres, une technique constante, et qui se complètent l’un l’autre. Ils ne sont pas rassemblés dans un même cadre et peuvent être séparés (c’est souvent le cas, nombre d’entre eux étant aux mains de collectionneurs). C’est une approche que j’ai souvent pour des petits tableaux dont la première présentation au public est groupée.

Sérénade pour Giverny – ensemble de neuf fusains de différentes tailles conçu en 2005 pour une exposition du MACY et accroché dans le cloître de l’Hospice Saint Charles de Rosny-sur-Seine.

Vagues – quatre fusains en 2008 (36cm x 36cm) pour le salon de Saint-Germain-en-Laye.

Jardins – trois des huit séries exposées ensemble lors de l’exposition du MACY en 2008 à Rosny-sur-Seine.

« Octobre à Giverny » et « Sandling » – sept de ces huit petits tableaux (20cm x 14cm) peints à l’huile sur carton sont chez des collectionneurs, et leurs photos, prises pendant l’exposition, ne sont probablement pas très fidèles… mais c’est un bon exemple de ma façon de travailler en séries qui se répondent.

Octobre à Giverny

Sandling (Kent)

« Des jardins mode d’emploi » est une série de quatre gravures au burin (15cm x 10cm).

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